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Historique de la controverse autour de la localisation de Gergovie. |
Jusqu'à la Renaissance, Gergovie est traditionnellement localisée à l'emplacement de la ville gallo-romaine de Clermont, Augustonemetum.
Au XVIe siècle, un italien proche de l’évêque de Clermont, Gabriele
Simeoni, remarque, en se fondant sur la toponymie, à environ six
kilomètres au sud de Clermont-Ferrand, un plateau au pied duquel une
ferme porte le nom de Gergoie.
Simeoni rapproche immédiatement ce nom de la Gergovia de la « Guerre des Gaules
» et déclare avoir découvert le site de la défaite de César. Cependant,
le plateau qu’il assimile à Gergovie porte déjà le nom d’un village
accroché à son flanc sud, Merdogne…
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Carte de Gabriele Simeoni, lettré florentin venu à la cour de l'évêque de Clermont, XVIe siècle, in Description de la Limagne d'Auvergne, traduction par A. Chappuys, Lyon, 1561.
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Dans
la seconde moitié du XVIIIe siècle, de premières fouilles font bien
apparaître des constructions anciennes sur le plateau de
Merdogne/Gergovie. Mais ces vestiges (en fait gallo-romains) sont bien
loin de constituer une preuve et ce d’autant que le site ne correspond
pas aux descriptions de César. Comme le note à l’époque un jeune noble,
Legrand d’Aussy, dans son récit de voyage :
« toute
hypothèse est toujours une supposition gratuite, une conjecture
hasardée. Pour la faire admettre, il faut, avant tout, prouver qu’elle
est fondée : or voilà ce qui manque à celle-ci. La relation de César y
paraît même absolument contraire ».
À partir des années 1860, Napoléon III, qui écrit une Histoire de Jules César,
fait entreprendre des fouilles conséquentes, non sur le plateau même
mais à la Serre d’Orcet et à la Roche-Blanche, collines sur lesquelles,
si Merdogne est effectivement Gergovie, devraient nécessairement être
découverts les deux camps de César, respectivement le grand camp et le
petit camp. Le colonel Stoffel, chargé de ces fouilles, met au jour des
fossés (que ses techniques de fouille ne permettent pas de dater)
censés relier le grand camp au petit camp. Malgré les incohérences du
tracé et ses très longues intermittences, c ’est pourtant là la «
preuve » tant espérée. Napoléon III accepte dès lors la requête des
habitants de Merdogne de rebaptiser leur village « Gergovie ».
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Le XIXe siècle (et surtout Napoléon III)
rêve la Guerre des Gaules. Dans cette planche (Atlas, Napoléon III, Paris, 1866), tout est un mélange d'erreurs et d'interprétations hasardeuses.
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En 1901, un monument commémoratif est érigé sur le plateau.
En 1930, le révérend Gorce reprend les investigations de Stoffel.
S’il le critique sur de nombreux points,
il confirme l’existence de fossés
À la même époque, en 1933, paraît un ouvrage dans lequel un nouveau protagoniste, Maurice Busset,
s’oppose à la localisation de Gergovie sur le plateau de Merdogne et
propose celle du plateau des Côtes de Clermont, juste au nord de la
ville.
À partir de 1952, Paul Eychart
reprend les recherches sur le site des Côtes et réalise de nouvelles
fouilles qui confirment l’occupation du site du néolithique à la
conquête romaine, et au-delà, jusqu'au IVe siècle après J.-C.
Sur la colline de Chanturgue,
il met au jour et reconnaît les structures d’un camp romain. Une
comparaison de la topographie et des données du texte de César permet
dès lors à Paul Eychart de reconstituer les différentes étapes de la bataille et le conduit à associer l’emplacement de la vieille ville de Montferrand au grand camp, le camp principal de César.
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Maurice
Busset est le premier à avoir identifié les Côtes de Clermont à
Gergovie. Son livre, publié en 1933, contient déjà l'essentiel. |
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En 1993, Yves Texier, dans une thèse présentée devant l’Université de
Clermont II et au terme d’un inventaire complet des connaissances pour
chacun des deux sites, conclut à la localisation de Gergovie aux Côtes
de Clermont. Aujourd’hui, les conclusions de Paul Eychart
n’ont pas encore été reconnues par les services officiels, qui tardent
à réaliser des fouilles sur le puy de Chanturgue et continuent à
défendre la Gergovie de Napoléon III, qui ne peut être en aucun cas la
Gergovie de César. À ce jour, les fossés découverts à Merdogne - pour
la plupart trop peu profonds pour être des fossés militaires - ne sont
toujours pas datés.
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Maurice Busset (1880-1936)
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Peintre
de renom, professeur au lycée Henri IV à Paris, il est mobilisé en 1914
dans l'observation aérienne pour laquelle il réalise des croquis et
devient peintre militaire aux archives de l'Aéronautique. En 1929, il
s'installe à temps plein dans un grand atelier à Clermont-Ferrand et
devient conservateur adjoint au Musée municipal. En 1932, il est le
premier à identifier le plateau des Côtes de Clermont comme étant
l’oppidum de Gergovie. Il reconnaît également le petit camp de César
sur le puy de Chanturgue mais pense que le grand camp se situait à
l’emplacement de Clermont et non de Montferrand, identifié ensuite par
Paul Eychart. |
Paul Eychart (Ségura, Ariège, 9 janvier 1915 - Clermont-Ferrand, 14 juin 2005)
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Professeur
de dessin aux Beaux-arts de Clermont-Ferrand, dessinateur talentueux,
Paul Eychart se destine à l’archéologie dans les pas de Maurice Busset.
À partir de 1952, il fouille sur le plateau des Côtes de Clermont. Ses
découvertes lui permettent d’attester non seulement une présence sur
les Côtes de Clermont depuis le néolithique et durant la guerre des
Gaules, mais également de mettre en évidence la cohérence totale du
site des Côtes de Clermont avec le récit de Jules César. C'est Paul
Eychart qui le premier reconnaît dans le village de Montferrand
l’emplacement du grand camp des légions de César. Par ses travaux, Paul
Eychart se situe dans la lignée des grands découvreurs des XIXe et XXe
siècles. Il publie sa thèse d’État d’archéologie en 1969, sous le titre
Préhistoire et origines de Clermont. Décédé en 2005, Paul Eychart a
consacré plus de cinquante ans de sa vie à la sauvegarde et à la
reconnaissance d’un site majeur pour notre Histoire…Son interprétation
du long récit de César est affinée dans plusieurs ouvrages, dont l’un
des plus connus s’intitule La bataille de Gergovie.
Certains objets découverts par Paul Eychart sont exposés au musée Bargoin à Clermont-Ferrand. |
Discours de Kléber Rossillon, président de la FNASSEM
lors de l’inauguration de la stèle à la mémoire de Paul Eychart, sur le plateau des Côtes de Clermont à Gergovie, en présence du maire de Clermont-Ferrand, président de Clermont-communauté le 24 juin 2006.
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Décret
de Napoléon III ordonnant que le village de Merdogne soit rebaptisé
Gergovie, tel qu'il apparaissait dans le Moniteur du Puy de Dôme daté
du 18 janvier 1865. Ce décret n’a jamais été publié dans le Bulletin
des Lois, et apparaît donc comme caduc. Un procès intenté par Monsieur
Yves-Charles Wirbel, « chercheur en historicité » a été
débouté en 2003 parce que le requérant n'habitait pas les communes en
question…
Aujourd’hui donc, Gergovie-Merdogne porte toujours le nom de Gergovie de manière illégale. |
En 1952, Gabriel Montpied, maire de Clermont, demande à Paul Eychart de
rechercher les preuves matérielles de la présence de Gergovie sur les
Côtes de Clermont, qui n’avaient pas été trouvées sur une autre
montagne, baptisée Gergovie en 1865 par Napoléon III.
Ces preuves, il en a trouvé de nombreuses. Paul Eychart fut un grand
fouilleur et un grand interprète du terrain archéologique qui a laissé
de nombreux objets de fouille conservés au Musée Bargoin, et une thèse
sur la préhistoire et les origines de Clermont.
Résumons les découvertes de Paul Eychart en trois mots :
Clermont-Ferrand est Gergovie. Clermont-Ferrand est Gergovie, comme
Paris est Lutèce. Cette grande cité avait son acropole – l’oppidum des
Côtes –, ses quartiers hauts, ses quartiers bas, jusqu’à son bois sacré
qui allait en devenir le centre après la conquête romaine, et sur
lequel se trouve aujourd’hui la cathédrale. Paul Eychart en a trouvé
partout les vestiges, du quatrième siècle avant Jésus-Christ jusqu’aux
invasions barbares.
Il a intitulé son dernier livre « César est entré dans Gergovie,
le mystère éclairci. » Personne avant Paul Eychart n’avait compris
pourquoi César avait écrit qu’il était entré DANS Gergovie, alors qu’il
n’a jamais pu pénétrer sur l’oppidum. C’était tout simplement qu’il y
avait une vaste ville devant cette acropole.
Démonstrations implacables, esprit lumineux : c’est la méthode
Eychart. Qui n’a été ébloui par sa présentation du camp romain dont
nous avons les meilleurs vestiges dans le Monde, en face de nous sur le
plateau de Chanturgue ? Qui n’a été impressionné d’apprendre
comment il a retrouvé la date au jour près où Jules César a fondé
Montferrand ?
Seulement, il y a un problème : nous honorons ce soir un réprouvé.
Pas par sa ville, qui a toujours reconnu Paul Eychart et qui fut seule
à aider ses recherches. Mais par les autorités de l’Etat, de
l’Université, du Ministère de la Culture. Des autorités qui mentent. Je
dis bien qu’elles mentent. Si, il y a fort longtemps, elles s’étaient
simplement et sincèrement trompées, elles savent bien qu’elles ont
transformé l’erreur en mensonge, écrit en lettres énormes sur des
panneaux d’autoroute, et répété aux étudiants, jusqu’aux écoliers dans
l’insouciance et la confiance de leur sortie de fin d’année. Et, pour
qu’il soit bien complet, ce mensonge est parachevé d’un faux, commis il
y a peu d’années au moment où le petit groupe qui contrôle les
institutions de l’archéologie française a cru que Paul Eychart était
suffisamment vieux et marginalisé pour que ses protestations – pourtant
portées par son esprit toujours supérieur et lumineux – n’aient plus
d’écho.
Est-ce
grave ? La vérité de Paul Eychart est-elle importante ? Ne
sommes-nous pas satisfaits de la connaître, et de mépriser ceux qui
pensent autrement, comme Paul Eychart le faisait si bien ? Ne
faut-il pas relativiser cette vieille affaire sujette à
polémiques ? C’est la question de la valeur de la vérité, sujet du
bac de philo la semaine dernière.
Nous célébrons le centenaire de l’arrêt de la cour de cassation qui a
conclu l’affaire Dreyfus. Cette affaire n’était pas seulement le procès
d’un officier injustement envoyé au bagne parce qu’il était juif.
C’était celle de la confiance dans l’Armée et dans les institutions,
qui n’a été close que lorsque la Cour de cassation a proclamé la
vérité.
Aujourd’hui, l’affaire de Gergovie touche à la confiance que les
enfants, que les étudiants placent dans un système éducatif capable de
leur mentir. Il serait beaucoup plus civique qu’il lui enseigne que les
institutions peuvent se tromper, et que leur honneur est de le
reconnaître comme, dans le cas de Gergovie, l’honneur et le civisme
seraient aussi de toujours rappeler que ce nom a servi, en 1942, à une
ignoble propagande.
Monsieur le Maire, ces institutions ont confisqué à Clermont-Ferrand et
à sa communauté une partie de son identité, son acte de naissance. Par
votre présence, par la participation de la ville à cette stèle, vous
montrez que vous vous situez dans la lignée de vos prédécesseurs,
Gabriel Montpied, Roger Quillot, qui le savaient, et qui ont soutenu
Paul Eychart. Mais le mensonge sur le passé de Clermont n’est pas
seulement un problème académique. C’est un enjeu économique. Car si le
mensonge ne paie pas, la vérité peut faire gagner beaucoup
d’argent ! Aujourd’hui, la fréquentation touristique et scolaire
du plateau de Gergovie – celui de Napoléon III – est très basse. C’est
malheureusement normal, il n’y a rien à voir de ce grand moment de
l’histoire qu’est la bataille de Gergovie, et les auteurs de guides
touristiques, comme les enseignants, qui subodorent quelque chose de
pas clair, ne poussent pas à y aller.
Quelle différence avec le lieu où nous sommes ! Monsieur le Maire,
si Clermont-communauté intègre la dimension historique et archéologique
dans les projets de gestion et d’aménagement de ce magnifique espace
naturel et site de bataille constitué par les côtes de Clermont et les
puys qui y sont rattachés, ce sont à terme des dizaines de milliers
d’enfants, des centaines de milliers de visiteurs d’Auvergne, de France
et du monde entier qui viendront ici, avec les retombées économiques
directes, et d’image, pour la ville et sa communauté. Cette chance, il
faut la saisir en intégrant toutes les connaissances actuelles sur la
préservation des sites naturels et le développement durable, auquel
l’ASCOT et notre fédération sommes extrêmement attachés.
Ce site internet est dédié à la mémoire
de Paul Eychart (1915-2005) |
Paul, tu disais de la reconnaissance officielle que tu n’as pas
eue : je m’en fous ! Nous sommes ici pour te dire que nous ne
nous en foutons pas. Nous voulons d’abord agir concrètement pour que ce
que tu as découvert soit préservé et présenté au plus grand nombre,
avec les autorités qui ont en charge l’avenir de Clermont-communauté.
Cela, rien ne nous empêche de nous y atteler aujourd’hui. Et un jour,
plus tard, nous le savons, la République annulera l’arrêté de 1865,
restituera à Clermont-Ferrand ses papiers d’identité, et reconnaîtra
que plus rien ne reste des affirmations de tes adversaires. |
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